La conjugaison des médecines traditionnelle et conventionnelle dans la lutte contre le COVID-19 au Cameroun
Par Jade Payan, Project Manager pour Econogy Project
Les mesures et protocoles prescrits pour lutter contre la propagation du COVID-19, souvent directement traduits des recommandations internationales, ont suscité une réaction de la population camerounaise soucieuse de pouvoir poursuivre la pratique de ses traditions et rites culturels. L’enjeu est de comprendre l’imbrication de ces stratégies de riposte avec de telles traditions. Si dans certains cas, la culture camerounaise a permis de porter et soutenir ces stratégies, d’autres situations ont mis en opposition ces deux dynamiques amenant même certains auteurs à parler de « violence psychologique et culturelle[1] ».
Un des terrains d’opposition entre la culture camerounaise et la direction de la lutte dictée par les mesures internationales a visé les rapports entre médecines traditionnelles et conventionnelles utilisées pour lutter contre le virus.
Dans un discours prononcé le 25 juin 2020, le Ministre de la Santé camerounais, Manachie MANAOUDA, définit la médecine traditionnelle comme « la somme totale des connaissances, compétences et pratiques qui reposent, rationnellement ou non, sur les théories, croyances et expériences propres à une culture et qui sont utilisées pour maintenir les êtres humains en santé[2] ». Cette définition, et c’est d’ailleurs ce que le Ministre souligne dans la suite de son discours, illustre l’ambivalence de cette méthode médicale. Fruit d’une synergie entre médicaments naturels et thérapies traditionnelles et spirituelles, la médecine traditionnelle ne suit pas un processus scientifique reproductible.
Or, si cette méthode présente des avantages certains en termes d’accessibilité et de développement qui justifient sa promotion (I), cette absence de cadre est susceptible de conduire à des détournements douteux (II).
- Du soutien et de la mise en avant de la culture camerounaise par la promotion de la médecine traditionnelle…
Suivant une volonté d’endogénéisation du système de soins de santé, la médecine traditionnelle a été portée au-devant de la scène pendant la crise de COVID-19. Le 19 mai 2020, le Président de la République du Cameroun, Paul BIYA, a ouvert le bal d’une campagne promotionnelle autour de cette méthode en affirmant qu’il « encourageait tous les efforts visant à mettre au point un traitement endogène du COVID-19[3] ».
Un mois plus tard, le 20 juin 2020, cette invitation se matérialisait par la tenue, à l’hémicycle de l’Assemblée Nationale, d’un forum sur la médecine traditionnelle. À l’issue des échanges, plusieurs recommandations ont été formulées et adoptées par les participants dont l’intégration de la médecine traditionnelle dans les soins de santé primaire ; l’encadrement des initiatives développées à partir de la pharmacopée traditionnelle ou encore le renforcement de la collaboration entre le Ministère de la Santé Publique, le Ministère de la Recherche Scientifique et de l’Innovation, le Ministère de l’Enseignement Supérieur et les Tradipraticiens de santé[4]. Suivant cette lancée, le Ministère de la Santé Publique a activé le processus de finalisation du projet de la loi relative à la médecine traditionnelle, de même que la mise en place d’un répertoire nationale des tradithérapeutes de santé[5].
Ce mouvement de mise en valeur de la médecine traditionnelle impulsé par la crise de COVID-19 a été perçu comme une opportunité d’assoir les fondements de ces procédés au cœur du système de santé camerounais. Cette idée, qui suit une logique d’autonomisation du pays sur le plan de la Santé, présente des avantages certains[6]. L’accessibilité aux soins se trouve renforcée non seulement en termes de coût, mais aussi d’approvisionnement, un atout non négligeable dans le contexte d’une pandémie mondiale comme celle du COVID-19. Toutefois, le manque d’encadrement de ces pratiques semble pouvoir conduire à des situations incertaines.
- … À la nécessité d’encadrer ces pratiques dans le souci d’éviter d’éventuelles dérives
Tableau : quelques pistes de solution endogènes proposées par des praticiens et chercheurs de la médecine traditionnelle du Cameroun
Source : Mbwe Mpoh, M. (2020), Sur le chemin des solutions endogènes. Bulletin d’information de la Médecine Traditionnelle N°001 ;
Nom du produit | Inventeur | Fonction |
Soudicov plus | Cheick Modibbo Halidou Ibrahim | Tradipraticien |
Efu_eyoh_koh | Acha Vincent Njeck | Tradipraticien |
Ngul be tara | Dr Peyou Ndi Marlyse | Enseignant-chercheur |
Viro-green F.4 | Dre Joséphine Briand K | Naturopathe |
Elixir-COVID Adsak-COVID | Mgr Samuel Kleda | Archevêque |
Tucloxine | Dharous Salam | Tradipraticien |
Bio covax | Mme Njikam, la reine des abeilles | Tradipraticien |
Jatrophicine | Dr Temfack Vope | Enseignant-chercheur |
Plusieurs initiatives sont ainsi nées de cet appel à la médecine traditionnelle (Tableau). Parmi elles, l’initiative de l’archevêque de l’archidiocèse métropolitain de Douala, Monseigneur Samuel KLEDA, a connu un retentissement significatif. Passionné de phytothérapie depuis près de 30 ans, Mgr KLEDA a ouvert à Douala une herboristerie dans laquelle se font soigner plusieurs patients. Pendant la crise, il a mis au point une thérapie à base de plantes, l’Elixir-COVID, capable de soigner la maladie. Cette initiative a reçu le soutien de plusieurs personnalités qui lui ont offert des fonds destinés à produire et distribuer à grande échelle son élixir. Le ministère de la Santé a également participé à l’encadrement de son initiative en mettant sur pied une plateforme technique.
Toutefois, quelques doutes demeurent quant à l’efficacité du médicament. La potion, dont la recette est restée secrète, est vendue à trente euros dans son office, faisant sourire les journalistes d’un reportage ARTE sorti en novembre 2021 : « 30 euros le traitement, quand on croit, on ne compte pas[7] ». Par ailleurs, certains professionnels de la santé ont reproché au Ministère de la Santé publique d’avoir laissé le traitement être vendu avant d’attendre les conclusions de la plateforme technique et d’avoir accueilli, sans plus de réaction, les déclarations de Mgr KLEDA du 1er août 2020 annonçant la fin de la guerre qu’il mène contre le virus :
« Nous avons vaincu le coronavirus. Le stock des remèdes contre cette pandémie chôme depuis quelques jours dans nos hôpitaux catholiques, car il n’y a plus de malades. Nous rendons grâce à Dieu et à la très Sainte Vierge Marie pour cette merveille. […] Le coronavirus n’est plus une menace au Cameroun[8] »
Le manque de garanties autour de l’efficacité de ce traitement pose un doute sur les bénéfices de cette démarche. Les problèmes liés à l’encadrement de ces initiatives utilisant des méthodes de médecine traditionnelle s’en trouvent illustrés. Quelle limite existe-t-il entre la promotion d’une solution médicale endogène qui plus est source de fierté nationale, et le choix d’un laissez-faire peu regardant, susceptible de tromper la population, voire de la mettre en danger ?
[1] Peyrat-Apicella, D. et Gautier S. (2020), Covid-19 : aux frontières de la folie. Ethnique Santé ;
[2] Ministère de la Santé (2020), Bulletin d’information de la Médecine Traditionnelle N°001 ;
[3] CRTV (2020), Discours spécial du président Paul Biya à la nation le 19 mai 2020 ;
[4] Fouakeng F. (2020), La médecine traditionnelle au Parlement, Bulletin d’information de la Médecine Traditionnelle N°001 ;
[5] Mbwe Mpoh, M. et Briand, K. (2020), La Covid-19 à la rescousse de la médecine traditionnelle ? Bulletin d’information de la Médecine Traditionnelle N°001 ;
[6] Fokouo Fogha, J. V. et Noubiap, J. J. (2020) La lutte contre la COVID-19 au Cameroun nécessite un second souffle ;
[7] ARTE Reportage (2021) Cameroun : les sorciers du Covid. Réalisation de Régis Michel ;
[8] Ntchapda, A. (2020), Samuel Kleda déclare qu’il a « vaincu le coronavirus » prudence ! ;
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