Le télétravail, fausse bonne idée écologique ?

Le télétravail, fausse bonne idée écologique ?

Par Alexandre Neviaski, Responsable recherches des effets sociaux du droit

Si la pandémie de Covid-19 a fortement nui à l’Humanité sur de nombreux plans, elle a, comme toute catastrophe, été catalyseur de maintes révolutions. Une des premières à être apparue fut le recours au télétravail. En effet, les confinements instaurés dans la plupart des États ont obligé les entreprises à repenser leur politique de travail. Après avoir équipé la majorité des travailleurs, ces dernières se sont habituées aux visioconférences, aux formations en ligne ou aux échanges intensifs de courriels[1]. Si cette pratique avait pour principal objectif de respecter les différentes mesures relatives au confinement, elle a perduré à des moments où il état possible de rappeler les salariés à leur poste de travail. Ce choix fut aussi bien motivé par des raisons économiques que par le bien-être des travailleurs. En effet, le télétravail a permis aux employeurs d’économiser de nombreux coûts logistiques – ce qui justifie aujourd’hui le recours accru des entreprises aux politiques de flex-office. Du côté des employés, le télétravail leur a permis de travailler de n’importe quel endroit ou encore de leur offrir des journées moins fatigantes.

L’aspect écologique, apparaît donc assez éloigné de toutes ces considérations sociales. Pourtant, une des principales conséquences du télétravail a été d’éliminer tout trajet. Dans un pays où plus de 70% des Français se rendent au travail en voiture[2], limiter ces trajets quotidiens a certainement permis de réduire l’empreinte carbone individuelle d’une large partie de la population. À cela s’ajoute le fait que le travail à domicile a fait diminuer la consommation d’énergie des entreprises aussi bien en chauffage qu’en éclairage.

Ainsi, selon des calculs effectués par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), ces modifications des conditions de travail ont permis d’économiser 271 kg équivalent carbone annuel par jour de travail hebdomadaire[3]. Ces chiffres flatteurs ont incité la directrice de Forum Vie Mobile (le Think thank de la mobilité soutenue par la SNCF), Sylvie Landriève a affirmé que « le télétravail peut devenir une solution positive pour l’environnement, parce qu’il réduit les déplacements pour aller au travail, l’une des causes principales des émissions de gaz à effet de serre ». [4]Alors certes, si nous nous arrêtons à cette analyse primaire, il est tentant de se ranger du côté de Sylvie Landriève. Cependant le télétravail a un côté obscur qui peut le rendre bien plus destructeur, au sens écologique, que les émissions de gaz à effet de serre des voitures. En effet, l’instauration du télétravail a créé un monstre à deux têtes.

Tout d’abord, en permettant aux personnes de travailler au moins trois jours sur cinq de chez eux, le télétravail a poussé ces mêmes personnes à s’éloigner encore plus des centres-villes afin de profiter d’espaces plus grands, plus verts et moins onéreux. L’économie d’émission de CO2 durant les trois jours de travail à domicile est donc contrebalancée par l’augmentation de la distance des trajets domicile-travail. De plus, ces migrations vers les zones péri-urbaines ont fortement influencé le nombre de trajets extra-professionnels. Désormais, les anciens citadins utilisent davantage leur voiture pour aller faire des courses ou encore amener leurs enfants à l’école. Télétravail n’est donc pas forcément synonyme de réduction de l’usage de la voiture.

L’autre menace que fait planer le télétravail réside dans sa son utilisation accrue du numérique. Comme évoqué précédemment, cette « révolution professionnelle » a conduit à une augmentation exponentielle des vidéos (certains instituts comme l’ADEME allant jusqu’à avancer une multiplication par vingt du nombre de visioconférences), à une intensification des courriels (dont le poids carbone est, rappelons-le, de 4 grammes de CO2) et enfin à un suréquipement numérique des employés. Ce suréquipement va mener à la création de nouveaux déchets industriels comme des souris d’ordinateur ou encore de nombreux câbles. Sans prôner la décroissance, il est possible de questionner cette surproduction qui par définition ne semble pas nécessaire.

Se pose donc la question que s’est posé Victor Frankenstein au moment de l’achèvement de son Prométhée moderne, a-t-on créé un monstre incontrôlable ?

A la manière de Kierkegaard[5], il nous a fallu prôner le désespoir pour entrevoir son contraire.  L’objectif de cet article n’est pas d’inciter au renoncement au télétravail. Au contraire, il est certain que cette pratique présente de nombreux avantages notamment pour les employés. Le but de la démarche est de démontrer qu’il n’est pas nécessairement écologique. S’il peut permettre de limiter grandement les émissions de gaz à effet de serre, cela passe par une prise de conscience collective quant à son usage.

Ainsi, un télétravail limitant au maximum l’usage de visioconférence (qui somme toute peut se faire la plupart du temps par appel audio) ou encore prônant la destruction systématique de courriels inutiles, pourrait alors devenir un allié face au réchauffement climatique.

Pour conclure, si la pandémie de Covid-19 nous a permis de repenser notre relation vis-à-vis de notre environnement de travail, désormais c’est à l’environnement de nous faire repenser notre relation vis-à-vis du télétravail.


[1] Soufyane FRIMOUSSE et Jean-Marie PERETTI, « Les changements organisationnels induits par la crise de la Covid-19 », Question(s) de management, vol. 29, no. 3, 2020, pp. 105-149

[2] INSEE, Sept salariés sur dix vont travailler en voiture, présenté par Armelle Bolusset, n°143, 13/02/2019

[3] Greenworking et ADEME, Etude sur la caractérisation des effets rebond induits par le télétravail, présenté par Jérémie Almosni et Sandrine Carballes, 09/2020

[4] Alix COUTURES, « Le télétravail est-il vraiment bon pour l’environnement? », Challenges, 03/11/2021

[5] Soren KIERKEGAARD, Le Traité du désespoir, Folio, 1988, p. 34

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