La Compagnie Marine: début d’une révolution du transport maritime

La Compagnie Marine: début d’une révolution du transport maritime

A l’aide de l’interview de Alexandre Billot, co-fondateur de La Compagnie Marine

Par Maria Suciu, Head of Partnerships pour le Econogy Project

« La part du colibri »

La Compagnie Marine est née il y a un an, alors que le Covid-19 battait de plein fouet. Le projet a pris forme sur la côte Nord-Est américaine, suite à une prise de conscience de deux français quant à l’impossibilité d’acheter des produits conçus et transportés de manière 100% eco-friendly. C’est donc un manque d’offre cruel que La Compagnie Marine a pour objectif de combler. Pour ce faire, elle affrète d’anciens voiliers de course et a établi une ligne de transport marchand régulière reliant la France aux Etats-Unis. Non seulement ce mode de transport à l’impact carbone nul se veut proposer une alternative responsable au chaos polluant des porte-conteneurs, mais il crée également des métiers dans la marine marchande responsable. En plus d’agir pour l’environnement, La Compagnie Marine peut aussi se targuer d’être un créateur d’emploi et de permettre aux férus de voile de vivre de leur passion.

L’idée n’est non pas de concurrencer le secteur maritime mais bien de prouver qu’une alternative au transport traditionnel ultrapolluant est envisageable. La Compagnie Marine veut opérer un changement de fond dans la mentalité générale, à plusieurs niveaux. Elle met d’abord en exergue l’importance du transport, que le consommateur tend à négliger, même lors de l’achat de produits éco-responsables. Elle interroge sur la nécessité absolue du court délai de livraison. Enfin, elle espère faire sa « part du colibri », afin d’à terme grandir et avoir une activité capable de concurrencer et de révolutionner le monde du transport.

Les questions qui se posent désormais sont multiples. Comment, malgré la montée de la peur du greenwashing, La Compagnie Marine compte-elle parvenir à multiplier les partenariats ? Comment réussit-elle à faire face à la concurrence du transport plus classique, par porte-conteneurs ou voies aériennes ? Elle a commencé en s’attaquant à l’industrie du luxe, qui a pour principal argument de vente l’image de marque et donc pourrait, de premier abord, être très intéressée par l’alternative de La Compagnie Marine. Proposant des produits à très forte valeur ajoutée, ces entreprises pourraient réellement se permettre les dépenses, parfois plus importantes, qu’engendre le transport à la voile. On remarque toutefois une certaine réserve de l’industrie face à l’idée que la clientèle puisse observer ce moyen de transport comme une stratégie purement marketing.

Stratégie marketing move et peur d’accusation de greenwashing

Depuis quelques années nous observons une tendance éco-responsable des entreprises, issues du luxe ou non (Platania, Santisi, Morando, 2019). Or, certains chercheurs disent avoir peur que derrière les discours bienveillants envers l’environnement se cache une stratégie simplement marketing, voire, dans les pires des cas, des paroles sans actes : c’est le greenwashing.

Cette pratique est de plus en plus connue et pointée du doigt. En effet, en prêchant un discours éco-responsable, les entreprises polluantes cherchent à s’ôter un poids de la conscience et de celle du consommateur, le tout afin d’attirer le plus de clients potentiels.  Nombreux ont été les mouvements pour mettre fin au greenwashing. La plus connue est certainement celui d’Amis de la Terre, qui a crée le Prix Pinocchio, une « récompense » qui choisit chaque année un lauréat du greenwashing, afin que les consommateurs soient alertés et cessent, ou diminuent, leurs liens avec les entreprises lauréates.

La dénonciation du greenwashing a paradoxalement un effet pernicieux : les grandes entreprises agissent avec une précaution extrême et adoptent même une démarche contre-productive quand il s’agit de prendre des décisions d’exécution éco-responsables. Comme affirmé par un consultant de l’agence Relations d’Utilité Publique (RUP), « toute communication est un acte d’engagement » (LCI, 2020). Craignant d’être accusées de greenwashing, les entreprises évitent donc des agissements trop importants à ce sujet et les démarches en ce sens sont souvent laborieuses. Par conséquent, La Compagnie Marine a eu à affronter l’obstacle lié à la peur du greenwashing avant de réussir à signer avec des grandes marques de l’industrie du luxe européennes. L’un de ses alliés dans cette lutte a été l’inquiétude des entreprises de rester sans agir face à un sujet qui tient tant à cœur aux cerveaux les plus jeunes, particulièrement en phase avec les objectifs du développement durable. Les entreprises voguent donc entre volonté d’agir, réalisme et crainte.

Le choix stratégique de vouloir s’associer aux grandes firmes du luxe en premier devrait s’avérer payant à long terme.  Il pourrait opérer une révolte « de haut en bas ». En effet, il est facile de penser que si ces géants de l’industrie du luxe commençaient à utiliser une alternative de transport responsable, d’autres entreprises plus diverses vont les suivre dans leur démarche, faisant alors fleurir les initiatives comme celle de La Compagnie Marine.

Différence de perception et de reaction en France vs Etats-Unis  

La Compagnie Marine s’est aussi retrouvée face à une dichotomie dans la perception et la réaction française d’un coté et américaine de l’autre. En France, Emmanuel Macron a parfaitement résumé la dynamique climatique européenne. Pour lui, il s’agit du « combat du siècle » (Elysée, n.d.). L’Union Européenne adopte une rhétorique et un répertoire d’actions similaire, faisant du Green Deal la priorité pour la période 2019-2024 (Commission Européenne, n.d.). De l’autre côté de l’Atlantique, les Etats-Unis semblent assez en retard, même si on remarque une forte volonté politique de le rattraper (Biden, n.d.). En 2017, les citoyens américains n’étaient que 55% à considérer le développement durable comme une urgence de premier ordre (Pew Research Center, 2017), alors qu’en France, seule  7% de la population se disait climato-sceptique (IPSOS, 2015). De plus, 8 français sur 10 exigent que les entreprises soient soumises à des contreparties économiques pour compenser leur impact environnemental négatif (Le courrier de l’Atlas, 2020). On observe également une polarité dans la relation des américains avec la protection de l’environnement et le développement durable, polarité à laquelle La Compagnie Marine a eu affaire. En effet, Monsieur Billot a mentionné que la réaction des acheteurs citadins américains de produits acheminés par La Compagnie Marine peut être comparée à celle des européens : ils sont prêts à sauter le pas en s’engageant dans un commerce plus vert et plus durable. Les consommateurs ruraux, eux, ne sont pas encore aussi sensibles à ces initiatives vertes. Il explique également que ce scepticisme se traduit en pragmatisme des entreprises : elles ne font pas d’écologie pour faire de l’écologie, et nécessitent des rendements économiques. Cela ne fait qu’alimenter un cercle vicieux qui fait que la majorité des entreprises ne propose pas de démarches vertes qui pourraient aider à sensibiliser une plus grande partie de la population.

Le mode de fonctionnement et les valeurs portées par les activités de La Compagnie Marine lui permettent de s’inscrire dans plusieurs objectifs du développement durable définis par l’ONU. Elle est ainsi certaine de maximiser l’impact de ses actions. Les échos au superlatif reçus par La Compagnie Marine, en France ou aux Etats-Unis, sont gage d’un réel intérêt croissant, qui peut se transformer, à terme, en une révolution du monde de la logistique et du transport des marchandises. Pour parvenir à un changement concret, il reste maintenant à ce que les consommateurs et entreprises développent une vraie conscience durable, et réalisent l’envers du décors de la next day delivery.

Sources

Interview avec Alexandre Billot (21/09/2021)

Atwal G., Bryson D. (2017) Responsible Luxury. In: Luxury Brands in China and India. Palgrave Macmillan, London. https://doi.org/10.1057/978-1-137-54715-6_8

Chen, YS. The Drivers of Green Brand Equity: Green Brand Image, Green Satisfaction, and Green Trust. J Bus Ethics 93, 307–319 (2010). https://doi.org/10.1007/s10551-009-0223-9

Davies, I.A., Lee, Z. & Ahonkhai, I. Do Consumers Care About Ethical-Luxury?. J Bus Ethics 106, 37–51 (2012). https://doi.org/10.1007/s10551-011-1071-y

Platania, S., Santisi, G., & Morando, M. (2019). Impact of emotion in the choice of eco-luxury brands: The multiple mediation role of the brand love and the brand trust. Calitatea20(S2), 501-506.

https://compagnie-marine.com/

https://www.amisdelaterre.org/campagne/prix-pinocchio/

https://www.lci.fr/planete/ces-entreprises-qui-plantent-des-arbres-greenwashing-ou-veritable-conscience-ecologique-2164061.html

https://ec.europa.eu/info/strategy/priorities-2019-2024/european-green-deal_en

https://joebiden.com/clean-energy/

https://www.pewresearch.org/fact-tank/2020/04/21/how-americans-see-climate-change-and-the-environment-in-7-charts/

https://www.ipsos.com/fr-fr/les-francais-face-au-changement-climatique

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