Virage politique du Chili: conséquences pour l’industrie minière

Virage politique du Chili: conséquences pour l’industrie minière

Par: Noemi Amelynck, Head of Research

Traduit par Maria Suciu, Head of Partnerships

Le 19 décembre 2021, le candidat de gauche, Gabriel Boric, a remporté les élections présidentielles chiliennes avec environ 55% des voix. La vision et l’engagement de Boric pour le Chili est de renverser le système néolibéral qui a dominé le pays depuis la dictature de Pinochet. Le modèle donne la priorité aux politiques de libre marché et à la privatisation de nombreux biens tels que les soins de santé et l’éducation. Cette élection a également eu lieu en parallèle de la réécriture de la Constitution de l’époque de la dictature par une Assemblée Constitutionnelle qui est composée en majorité de membres de gauche.

Ces deux événements marquent un changement significatif au Chili qui, depuis la dictature, a adopté un modèle économique néolibéral de privatisation. Bien que le modèle de libre marché du Chili ait été qualifié de « success story » en Amérique latine, son succès a eu un coût. De tous les pays de l’OCDE, le Chili est le plus inégalitaire et présente un écart de revenu 65 % plus important que la moyenne de l’OCDE.

Depuis que le Chili est devenu une démocratie en 1989, il y a eu un certain nombre de mouvements sociaux protestant contre les inégalités socio-économiques perpétuées par le système. Cependant, ces deux événements historiques qui se produisent actuellement sont la première concrétisation de la possibilité d’un réel changement du système.  

En amont de l’intronisation de Boric en mars, le domaine de l’industrie minière est particulièrement intéressant à examiner. D’une part, il a apporté une immense richesse à l’économie chilienne, mais, d’autre part, a également des conséquences négatives car sa richesse n’est pas répartie équitablement et l’industrie a causé certaines répercussions sociales et environnementales. La question est donc de savoir si cette nouvelle ère de la politique chilienne peut marquer un tournant dans la redistribution des richesses et la protection de l’environnement dans une industrie dominante.

Le modèle économique du Chili et l’industrie minière

Le modèle économique néolibéral chilien est établi dans la Constitution qui remonte au temps de la dictature. Il s’agit du principe de subsidiarité de l’État, dans lequel les actions de l’État visent à faciliter la régulation par le marché, renforçant essentiellement les idéaux d’une économie de marché. En ce qui concerne l’industrie minière, cela facilite un modèle de développement basé sur l’exploitation et l’exportation des ressources naturelles. Le Code minier de 1983 a également facilité l’accès des entreprises aux concessions minières, en mettant l’accent sur la propriété privée des mines.

La démocratisation du Chili n’a pas changé ce modèle, et au lieu de cela, la richesse et la croissance économique du pays ont beaucoup dépendu de l’exportation de cuivre et de lithium. Le Chili est le premier producteur mondial de cuivre  (environ 28% de la production mondiale) et le 2ème producteur de lithium (environ 22% de la production mondiale). Il possède également les plus grandes réserves connues de lithium au monde. L’industrie minière contribue grandement à l’économie chilienne. En 2020, sa contribution au PIB était de 11% et représentait plus de la moitié des exportations totales. Le modèle néolibéral domine puisque 72% des mines de cuivre sont détenues et exploitées par des sociétés minières privées. La croissance de cette industrie peut également être attribuée à une augmentation des capitaux étrangers, car le gouvernement a fortement soutenu les investissements extérieurs.

Il continue d’y avoir beaucoup de potentiel et d’opportunités pour cette industrie, car le cuivre et le lithium sont parmi les produits de base mondiaux les plus demandés. Ils sont utilisés dans les smartphones, les ordinateurs portables, mais aussi dans les véhicules électriques et d’autres infrastructures qui soutiennent les technologies vertes. Avec un changement mondial dans le soutien et l’innovation des les technologies vertes, il est juste de dire que cette industrie au Chili continuera de croître. Mais à quel prix ?

Conséquences environnementales et sociales

Bien que les projets miniers aient apporté d’immenses richesses au pays, ils ont également eu des conséquences environnementales et sociales dans les régions où ils opèrent. Cela nuit à la biodiversité et aux populations locales présentes. Ce n’est pas un phénomène nouveau car ces questions sont déjà connues et ont été critiquées.

Dans la région d’Atacama, l’extraction du lithium utilise de grandes quantités d’eau douce provenant des aquifères de la région (une couche de roche poreuse qui sert de réserves d’eau) et accède à des réserves d’eau douce pour nettoyer les machines et les tuyaux. Cette pratique n’est pas durable car il y a de faibles taux de précipitations dans cette région, et donc plus d’eau douce part que ne revient. En raison de cette pénurie d’eau douce, les habitants ont de plus en plus de mal à garder des animaux et à faire pousser des cultures. Cela peut pousser ces populations hors de cette région et les amener à émigrer. Ces pratiques affectent non seulement les gens, mais aussi la biodiversité. Par example, l’extraction assèche les lagunes d’eau salée, ce qui affecte également la population de flamants roses.

Ce phénomène n’est pas propre aux populations vivant dans la région d’Atacama, mais est ressenti par les habitants de tout le Chili qui vivent à côté de projets miniers.  En fait, le terme « zones de sacrifice » a été inventé par certains habitants de ces zones pour décrire les conséquences qu’ils ont subies en raison du modèle de développement. Dans ces régions, la crise environnementale va de pair avec des problèmes sociaux, car les activités minières n’ont pas d’avantage significatif pour les habitants. Par exemple, la municipalité de Til Til, située à environ une heure de route de la capitale, Santiago, est l’une des municipalités les plus pauvres de la région métropolitaine, malgré le fait que son activité économique est essentielle au développement de Santiago. En effet, seuls quelques habitants travaillent pour ces entreprises, soit parce que les activités ne nécessitent pas une main-d’œuvre importante, soit parce que les companies font venir des travailleurs saisonniers d’autres régions. En bref, les pratiques minières entravent la croissance socio-économique des zones dans lesquelles elles opèrent.

Malgré les conséquences environnementales et sociales de l’industrie, il semble hautement improbable que le gouvernement exige l’arrêt de l’activité minière en raison de ses gains économiques. Par conséquent, il doit y avoir un équilibre entre la réglementation de cette activité et la garantie des droits sociaux et environnementaux pour les populations locales les plus touchées. Ceci est particulièrement important en cette période, car la pandémie due au COVID-19 a également provoqué un pic de pauvreté.  Par conséquent, une réponse à cette crise sanitaire et sociale devrait conduire à une réglementation plus durable de l’industrie minière dans laquelle il y a des gains plus importants pour la société dans son ensemble.

Nouvel espoir : Boric et l’Assemblée constitutionnelle

L’élection de Boric est historique. Il est non seulement le plus jeune président de l’histoire chilienne, mais il a également promis de changer le modèle économique néolibéral du pays et d’être le président de tous les Chiliens. Cela pourrait signifier mettre davantage l’accent sur les droits des populations locales touchées par les projets miniers.

Boric a également mis l’accent sur la protection de l’environnement vis-à-vis de l’industrie minière. Dans le cadre de ses propositions, il veut créer une entreprise publique de lithium et promouvoir les investissements verts, tout en s’opposant aux initiatives minières qui détruisent l’environnement. Cela contraste avec la façon dont le Chili et les anciens présidents ont oeuvré et marque un changement de priorités pour le nouveau gouvernement. Nous pouvons espérer que cela pourrait bénéficier aux politiques favorisant la protection de l’environnement et la progression socio-économique.

En plus de la présidence de Boric, l’Assemblée constitutionnelle est actuellement en train d’écrire une nouvelle Constitution qui sera votée par les Chiliens avant sa mise en œuvre officielle plus tard cette année. C’est l’occasion de redéfinir le rôle et la valeur de l’environnement et des ressources naturelles. Un certain nombre de propositions sont sur la table, telles que la fixation de limites de temps pour les concessions, la répartition des bénéfices miniers et, d’une manière générale, des exigences plus environnementales. On s’attend également à ce que l’Assemblée fasse de l’eau un bien public national afin de répondre à des questions telles que le droit à la pauvreté. Cela aura des conséquences pour l’industrie minière qui utilise de grandes quantités d’eau pour son activité. Ces propositions auront un grand impact car la Constitution exposera les principes fondamentaux que l’industrie minière doit respecter.

En général, il semble que cette nouvelle génération de la politique chilienne cherche à changer le système. Au lieu de donner la priorité à l’industrie minière et aux gains qu’elle apporte à un petit nombre de Chiliens et d’investisseurs étrangers, ils mettent l’accent sur la protection de l’environnement et la croissance socio-économique des Chiliens. L’exploitation minière est au cœur de l’économie chilienne et continue de présenter beaucoup d’opportunités en raison de la demande croissante de lithium et de cuivre. Cependant, le modèle n’est pas durable à long terme en raison des risques d’exploitation environnementale et sociale. Cette nouvelle génération qui prend la tête de la politique chilienne représente un espoir d’aller vers un pays qui donne la priorité à la croissance de son peuple et à la protection de ses ressources naturelles plutôt qu’à l’exploitation à des fins économiques. 

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